18.4.11

CHUTE DES GBAGBO : De quelle dignité parle-t-on ?

Depuis le lundi 11 avril 2011, Laurent Koudou et Simone Ehivet Gbagbo ne sont plus sur le trône du pouvoir ivoirien. La force a changé de camp, le pouvoir aussi. Mais ce qui semble avoir plus retenu les attentions ici et là, c’est bien les images à la fois simples et surréalistes qui montrent l’ancien président et son épouse comme des êtres humains ordinaires frappés par la douleur et la souffrance. Des images qui, aux dires des uns et des autres, n’étaient pas à montrer. Au nom des valeurs morales africaine. Au nom de la dignité humaine.

Toutes ces réactions ne me surprennent pas, parce que je sais qu’il y a toujours des gardiens de la morale humaine partout aux aguets et toujours prêts à exploiter un événement pour démontrer leur talent de bons diseurs. Certains défendent les droits de l’homme par conviction. D’autres le font par snobisme ou pour plaire en donnant dans le politiquement correct. Tant pis. A chaque fou sa marotte, dit-on.

Mais comme George Walker Bush un certain jour, je m’interroge : « Qu’est-ce que ça veut dire atteinte à la dignité humaine ? » Un roi a-t-il de la dignité s’il ne fait pas de la dignité de chacun de ses sujets une pierre précieuse à défendre contre les égarements possibles auxquels un pouvoir vacillant peut conduire ? La dignité d’un homme ne réside-t-elle pas d’abord dans le respect de la dignité de l’autre ? Les Gbagbo ont laissé leur dignité se dissoudre dans leur ivresse du pouvoir. Ils ont laissé leur dignité se faner sous le soleil de la méchanceté, du mépris, de la haine. Leur volonté de puissance et leur irrésistible envie de prendre leur revanche sur la vie qui leur a fait connaître des moments de misère politique ont fini par dévorer toute leur dignité. Pour moi, parler de la dignité d’un homme qui a fait tuer d’autres hommes, de la dignité d’une femme qui n’a pas empêché que des femmes soient honnies, humiliées, bafouées et assassinées et qui n’a pas condamné ces crimes, c’est faire du moralisme petitement scrupuleux. Parce que j’estime qu’un homme déchu, fût-il président d’une République, mérite d’être montré entier comme un être humain ordinaire, si, pendant son règne, il a laissé croire qu’il avait rang de Dieu, qu’il était au-dessus des autres, qu’il avait pouvoir de vie et de mort sur les hommes qu’il gouvernait.

Je veux bien comprendre la vague de pudibonderie qui envahit des cœurs trop sensibles, mais pour moi, les temps ont changé et désormais l’information va à la même vitesse que la lumière. Etre africain n’y changera rien car il n’y a plus de barrière entre les peuples, entre les races, entre les cultures. Il n’y a plus d’images taboues. Alors il appartient à chaque individu de se protéger, de faire en sorte que son image ne lui échappe pas, de faire en sorte qu’il reste toujours maître de lui-même c’est-à-dire qu’il ne soit jamais dans cette situation de fragilité et de faiblesse qui fait que les autres prennent le dessus sur lui et décident de gérer sa vie à travers ses propos, ses actes et son image. Que des vendeurs de sensations fortes et d’émotions vives volent des images d’honnêtes personnes et, par les moyens de la technologie numérique falsifient ces images, font des montages pour travestir des faits et punir injustement ces honnêtes personnes, cela est intolérable et condamnable. Car il s’agit là d’actes de méchanceté gratuite. Par contre, si des images nous montrent « nus » et impuissants des chefs tyrans et assassins que nous avons connus que couverts d’or et de diamant, quels que soient leur race et leur pays d’origine, moi je trouve cela heureux. Parce que ces images font partie de l’histoire de l’humanité, de la marche du monde et surtout de la vie de l’Homme. Parce que ces images sont en elles-mêmes des leçons de la vie qui peuvent aider chacun à réfléchir, philosophiquement, sur le sens du pouvoir, le sens du devoir, le sens du savoir. Parce que ces images peuvent nous rappeler notre fragilité et l’instabilité permanente de notre situation. Parce que, grâce à ces images, nous pouvons mieux comprendre que ceux qui flirtent avec les cimes ne doivent jamais oublier que l’abîme n’est pas loin. Le vertige de la gloire ne doit jamais nous faire ignorer qu’un rien peut nous faire déchoir et boire jusqu’à la lie les déboires de notre pouvoir. Ces images de Laurent Gbagbo et de son épouse Simone ne sont donc pas à rejeter au nom d’une quelconque pudeur « africaine ». Elles doivent être montrées partout, pour nous enseigner l’extrême solitude dans laquelle nous nous trouvons quand nous perdons les attributs qui faisaient de nous une personne puissante, incontournable, nécessaire, indispensable…

La dignité ? Je pense, comme Platon, que c’est « une majesté qui résulte d’une raison droite et sérieuse ». Il ne suffit pas d’avoir été roi pour revendiquer sa dignité ni pour la mériter. Il faut prouver qu’on a toujours respecté celle des autres, même dans ses moments les plus sombres et les plus désespérés.

Le romancier marocain Driss Chraïbi a écrit : « La noblesse du fauteuil détermine la dignité humaine de celui qui est assis dessus…». Moi je voudrais bien y ajouter ceci : « Mais si celui qui occupe un fauteuil noble est de mauvaise moralité, au lieu de porter sa dignité comme une couronne d’honneur, il s’assoit dessus et l’anéantit avec son pet ». La nudité d’un tel « noble » ne devrait pas choquer. Pauvres Gbagbo, ils ont bien mérité ce qui leur arrive ! N’en déplaise aux cœurs trop pieux pour qui le diable une fois mort peut être considéré comme un saint.

Si écrire ce que vous venez de lire, c’est être iconoclaste, alors je l’assume pleinement.

Bien à vous.

MINGA

4.4.11

IMPERIALISME, NEO-COLONIALISME… L’éternelle rengaine de notre misère

La crise libyenne a réveillé bien des muses endormies et donné de la causticité à la verve “souverainiste” de nombre de penseurs d’occasion, sous les Tropiques. Des maîtres de la parole se font jour, des poètes se réveillent et se révèlent et crient en rime le drame de l’Afrique dû à la France, dû à l’Amérique, dû aux Blancs, francs menteurs, voleurs, pilleurs, francs pécheurs ! Mais pourquoi tant de débordements verbaux pleins de rage, pleins de haine contre les Occidentaux ?
On invective l’Occident parce qu’il serait la cause de tous nos malheurs, la racine de toutes nos peurs, le bourreau de nos cœurs, l’ennemi qui nous arrache de la bouche notre pain, confisque nos gains, brouille nos chemins, obscurcit nos destins… On accuse l’Occident de nous diviser, de nous multiplier par zéro, de nous maintenir sous le joug de son pouvoir comme d’antan. Et les mots ne manquent pas pour dresser la liste des maux dont ils sont coupables chez nous, contre nous : impérialisme, néo-colonialisme, ingérence, surexploitation, esclavagisme, violation de notre souveraineté, etc.
Faut-il rappeler que j’ai toujours été et que je reste toujours de ceux qui pensent que l’Occident nous méprise, nous infantilise, nous ridiculise, nous minimise, nous enlise dans la crise pour une meilleure emprise sur nous, pour mieux nous dominer ad vitam aeternam.
C’est justement ma foi en la mauvaise foi de l’Occident qui m’amène à ne jamais pardonner à nos chefs d’Etat leur attitude de béni-oui-oui et de « gratte-tête » devant ces dirigeants occidentaux qui ont l’arrogance dans l’âme pour la plupart et qui continuent de s’estimer plus humains que les Africains.
Je pense, personnellement, que l’Afrique a aujourd’hui toutes les compétences nécessaires, toutes les richesses humaines et naturelles indispensables pour être une puissance économique à craindre, à respecter, à prendre au sérieux. Mais cela a besoin de modestie, d’humilité, d’esprit de solidarité et d’union, de la part des présidents de nos différents pays. Au lieu de cela, à quoi assiste-t-on ? A la manifestation d’un nationalisme haineux, à l’exacerbation d’un sentiment de souveraineté exclusive, au chauvinisme, au mépris du voisin, l’hypocrisie dans les rapports qui donne l’impression qu’on est d’accord sur tout alors qu’on n’est d’accord sur rien… Et surtout, l’attitude de vassaux en face des anciens colonisateurs de nos dirigeants qui préfèrent plaire aux leaders des grandes puissances plutôt qu’à leurs propres peuples. J’avoue que je n’ai jamais compris, du point de vue rationnel, ce qui empêche les responsables politiques africains d’avoir des institutions fortes qui puissent leur permettre de prendre en main la destinée des peuples du continent, sans avoir recours à l’Occident, sans demander leur avis, sans solliciter leur soutien. Je ne l’ai jamais compris. Voilà pourquoi j’estime que tous nos problèmes aujourd’hui ne dépendent ni de la France, ni des Etats-Unis, ni de quelque autre pays que ce soit, mais bien de nos dirigeants. Parce que ce sont des personnalités sans personnalité qui vont faire la courbette dans les palais occidentaux pour négocier leur éternité au pouvoir ou leur couverture en cas de révolte de leurs peuples. Dès lors, ils signent des pactes immoraux avec ces présidents occidentaux qui ne leur donnent plus la possibilité d’avoir les coudées franches pour parler d’égal à égal avec eux.
Alors nous, jeunes, étudiants, intellectuels du continent, que devons-nous faire chaque jour, pour fouetter l’orgueil de ces dirigeants afin qu’ils prennent enfin l’étoffe de vrais responsables ? Devons-nous nous transformer en éternels pleurnichards anti-occidentaux toujours prêts à déblatérer contre ceux qui ne nous connaissent pas, pour qui nous ne comptons pas ? Devons-nous nous conduire comme des éternels enfants morveux devant ces Occidentaux qui nous ignorent parce que nos propres chefs ne nous respectent pas ? Devons-nous, au nom d’une quelconque « souveraineté » descendre dans la rue contre « les autres » pour défendre même des causes indéfendables, juste pour le plaisir de se sentir Africain ? Devons-nous nous en prendre aux Occidentaux ou à nos dirigeants qui mettent leur dignité dans leurs chaussettes pour aller quémander des faveurs indécentes de l’autre côté du continent ? S’il y a toujours « impérialisme, néo-colonialisme, ingérence sauvage », de la part des Occidentaux, à qui incombe la faute ? Moi je ne crois pas que la faute soit aux Occidentaux. La faute est à nos dirigeants. Ce sont eux pour qui nous votons ; ce sont eux qui doivent pouvoir nous défendre dignement auprès des dirigeants des autres peuples ; ce sont eux qui ont des comptes à nous rendre.
Dans le cas de la crise libyenne, nous en prendre à Sarkozy et à Barack Obama, pour moi, c’est un mauvais transfert de colère. Crier toujours à l’impérialisme et au néo-colonialisme chaque fois que des Occidentaux, exploitant la faiblesse et l’immobilisme de nos gouvernants interviennent chez nous pour éviter un chaos (même avec une arrière-pensée opportuniste supposée ou réelle), c’est une vieille rengaine qui expose la misère de notre esprit et qui ne nous ennoblit pas. Panafricanisme n’exclut pas réalisme et ne doit pas faire oublier que « nécessité fait loi ».
J’estime que la première responsabilité des intellectuels africains, de nos jours, ce n’est pas de faire de l’activisme ostentatoire gratuit, mais de favoriser un mouvement de veille qui va fouetter en permanence la conscience africaine de nos gouvernants politiquement immatures, frileux, égoïstes, hypocrites, opportunistes et encore plus liés à leurs intérêts que ces « autres » dont nous pourfendons les vices à souhait.
Toujours à propos de Kadhafi, pendant que certains Africains s’agitent, s’égosillent dans les rues de leurs capitales contre les Français et les Américains, que font leurs chefs d’Etat ? Ils se taisent. Royalement. Parce qu’ils se sentent entre le marteau des Occidentaux qui légitiment leur souveraineté teintée de fraude contre leurs peuples et l’enclume du Guide aveugle qui leur sert de parapluie économique et qui est doté d’un grand pouvoir de nuisance. Pauvres présidents-marionnettes de nos Républiques fragiles ! Pourquoi donc laisser dormir tranquillement ces incapables dans leurs Palais et aller provoquer ceux qui ont au moins le mérite de démontrer qu’ils peuvent agir quand il le faut ?

Bien à vous.

MINGA